SUR LES ROCHERS


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Les rochers de l’île d’Islay reflètent l’époustouflante et grandiose histoire de la planète. Leur existence remonte à 1,8 milliard d’années, soit 2,8 milliards après le début de la formation de la Terre elle-même. La géologie d’Islay témoigne de la présence passée de continents méconnaissables, de glaciations et des tous débuts de la vie sur Terre, jusqu’aux vestiges de la plus récente ère glaciaire, il y a quelques milliers d’années.

Celle-ci nous intéresse pour trois raisons. La première, c’est son incidence directe sur l’agriculture, car les différents types de sols qui se trouvent sur le substrat rocheux influencent la culture de l’orge sur l’île. La deuxième est liée à l’eau que nous utilisons pour faire nos whiskies. La troisième est la connaissance qu’elle nous apporte quant au terroir d’Islay, mélange de différents types de rochers et de différentes ères.

Carte simplifiée, British Geological Society

Le Loch Gruinart et le Loch Indaal sont deux bras de mer peu profonds au nord et au sud d’Islay. Ils se sont formés le long d’un embranchement du Great Glen, la ligne de faille qui divise l’Écosse, celle-là même qui a donné naissance aux célèbres sites que sont le Loch Ness et Glencoe en allant du nord-est vers le sud-ouest. C’est aussi à elle que l’on doit les légères secousses sismiques qui font parfois vibrer nos fenêtres ! Le long de cette ligne de faille, au centre du Loch Indaal, deux supercontinents sont entrés en collision il y a environ 470 millions d’années quand l’ancien Océan Iapetus, qui les séparait, s’est refermé. L’Écosse se trouvait sur l’un de ces supercontinents et l’Angleterre, sur l’autre.

Les rochers inclinés de la région de Port Ellen attestent de cette époque mouvementée. David Webster, qui a fait carrière dans l’exploitation pétrolière avant de prendre sa retraite à Islay, où il a fait construire une maison derrière la distillerie et écrit un livre sur les « promenades géologiques », remarque : « Si l’on vidait le Loch Indaal, on trouverait probablement des fossiles de dinosaures ici même, à Port Charlotte ! Les bateaux qui ramassent les coquilles Saint-Jacques ont relevé des ammonites de la même époque. »

On trouverait probablement des fossiles de dinosaures ici même, à Port Charlotte !

LES ROCHERS DES RHINNS

Les plus célèbres des rochers de Bruichladdich sont des gneiss anciens. Formés le long de l’arc volcanique qui relie le Labrador, le Groenland et la Scandinavie, ainsi qu’Islay situé quelque part au milieu,
il y a 1,8 milliard d’années, ils sont connus dans le monde entier sous le nom de « complexe des Rhinns ».

Ces roches autrefois ignées, formées sous les profondeurs volcaniques, se sont métamorphosées sous l’effet d’une pression et d’une chaleur intenses alors qu’elles étaient enfouies à une cinquantaine de kilomètres sous la croûte terrestre. Les nombreuses lignes de failles des Rhinns les ont exposées au grand jour. Sur la côte, à Bruichladdich, juste en face de la distillerie, on peut admirer aujourd’hui des rochers de granit rose, qui doivent leur couleur au feldspath potassique faisant partie de leur composition minérale, ainsi que des rochers de basalte vert contenant des hornblendes. Il est très fréquent de trouver des cailloux verts et roses sur les plages des Rhinns.

En certains endroits des Rhinns, ces roches métamorphiques anciennes affleurent contre un type de grès, issu lui aussi d’une transformation minéralogique. Ce grès métamorphique, âgé de 800 millions d’années, pré-date l’explosion de la vie sur Terre. Là où ces deux types de roches se rencontrent, sur la côte, les vagues forment une fourche le long de la ligne de faille, comme à Kilchiaran, qui matérialise en quelque sorte un bond d’un milliard d’années.

DANS LE RESTE DE L’ÎLE

Au nord d’Islay, autour de Bunnahabhain et de Bolsa, se trouvent des roches calcaires de 650 millions d’années contenant des monticules d’algues fossilisées, premières formes de vie multicellulaires sur Terre. Autour de Ballygrant, on trouve également d’épaisses couches de calcaire gris foncé, légèrement plus ancien que celui situé sur la côte. C’est là qu’est extraite et broyée la chaux servant à améliorer la fertilité des champs d’Islay.

Il y a 55 millions d’années, juste après l’extinction des dinosaures, l’océan Atlantique a pris naissance le long de la déchirure de la croûte terrestre entre l’Amérique du Nord et l’Eurasie. La côte nord d’Islay en est un vestige, avec ses énormes lames verticales ou « dykes » de magma gelé.

GLACIATION

Si près de Port Askaig, une couche de tillites atteste d’une première ère glaciaire, l’île d’Islay n’a pas non plus été épargnée par les récentes glaciations du Pléistocène, lorsque l’île marquait la limite des grands glaciers de l’hémisphère Nord. Depuis, les variations complexes du niveau de la mer causées par la fonte des calottes glaciaires ont créé une série de « plages surélevées » le long du littoral. Le dernier de ces grands changements s’est sans doute produit il y a moins de 10 000 ans.

Durant une grande partie de la fin de la préhistoire, lorsque les humains utilisaient des outils de pierre et commençaient à cultiver la terre, les terres basses situées entre les Rhinns et le reste de l’île ont été inondées, créant deux îles qui ne se sont rejointes que récemment. Il est possible que le Loch Gorm, à quelques kilomètres de la distillerie, soit issu d’une dépression (un « kettle »), dans laquelle une partie du glacier s’est retrouvée isolée, recouverte de rochers et de boue, avant de fondre en un « creux marécageux » (selon les termes de David Webster). Les champs qui entourent le Loch à Ballinaby et à Rockside reposent sur une couche de gravier et de sable déposée par des rivières formées par la fonte des glaces, ce qui leur confère un bon drainage et en fait un sol plus adapté à la culture de l’orge qui sert à la fabrication du whisky.

LA SOURCE D’OCTOMORE

Comme nous sommes l’une des deux seules distilleries d’Islay à embouteiller tous nos whiskies sur l’île, nos produits finis reposent sur un autre élément géologique : l’eau de source. Notre eau de mise en bouteille a en effet cheminé à travers les roches ancestrales des Rhinns. Le nom local de cette source est « Tobar an Uisge Fìor », autrement dit : « la source d’eau véritable ». Elle se trouve sur les terres de la ferme d’Octomore. L’eau de la source d’Octomore a même été analysée par l’Université de Stockholm et, comme le confirme David : « Elle n’a rien à voir avec l’eau de surface », puisqu’elle contient de la silice concentrée à 17 parties par million. Un taux inhabituellement élevé que l’on ne retrouve dans aucune autre eau de l’île. C’est donc un fragment de l’héritage géologique d’Islay que vous dégustez à chaque gorgée de whisky. Savourez-la comme il se doit ; elle a mis des centaines de millions d’années à venir jusqu’à vous.